Dans une première prise de parole depuis son exil moscovite, le (désormais ex-) président syrien Bachar Al-Assad déclara que son départ de Syrie n’était pas planifié et qu’il avait accompli son devoir jusqu’au bout. Une version contredite par plusieurs de ses proches collaborateurs.
Le capitaine n’est-il pas supposé être le dernier à quitter le navire ? Tel ne semble pas être le cas du président syrien déchu, Bachar Al-Assad – lequel, à l’instar d’un général en déroute -, déserta le champ de bataille en laissant ses soldats affronter leur propre destin. N’a-t-il pas choisi l’exil doré à Moscou avant même la chute de Damas ?
Rappelons qu’après une offensive fulgurante qui lui a permis de s’emparer d’une grande partie du pays en seulement onze jours, une alliance insurgée menée par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) est entrée dimanche 8 décembre à Damas et a annoncé le renversement du pouvoir. Lâché par ses alliés traditionnels, notamment la Russie et l’Iran, Al-Assad a pris la fuite à Moscou.
La version de Bachar Al-Assad
L’homme qui présida aux destinées de son pays avec une main de fer durant 24 ans s’en défend avec véhémence : « Mon départ de Syrie n’était pas planifié et n’a pas non plus eu lieu durant les dernières heures de la bataille, contrairement à certaines allégations. Au contraire, je suis resté à Damas, accomplissant mon devoir jusqu’au dimanche 8 décembre à l’aube », a-t-il indiqué lundi 16 décembre 2024 dans un communiqué en anglais diffusé sur la chaîne Telegram de la présidence syrienne.
Prenant pour la première fois la parole plus d’une semaine après avoir été renversé par les troupes rebelles noyautées par les anciens djihadistes d’al Qaïda, l’ex-président syrien est sorti donc de son silence, affirmant qu’il n’avait fui la Syrie qu’après la chute de Damas aux mains d’une coalition rebelle et qualifiant les nouveaux dirigeants du pays de « terroristes ».
« Moscou a exigé une évacuation immédiate vers la Russie le dimanche 8 décembre au soir », ajoute Bachar Al-Assad.
Mais, ajoutait-il, la base russe de Hmeimim sur la côte méditerranéenne où il se trouvait était attaquée par des drones « alors que la situation sur le terrain continuait de se détériorer, Moscou a exigé une évacuation immédiate vers la Russie le dimanche 8 décembre au soir ».
Bref, à en croire la version du président syrien déchu, son départ n’était pas prémédité, il n’a point pris la poudre d’escampette durant les dernières heures de la bataille, « accomplissant son devoir » jusqu’à la fin ; et que vu la détérioration, Moscou aurait « exigé » son évacuation.
Duperie
Or, Cette version des faits ne semble convaincre personne. Car, il semble que le président déchu ait pris la décision de s’exiler à Moscou avec sa femme et ses trois enfants après avoir compris que la chute de sa capitale, Damas, était inéluctable.
Selon plusieurs sources concordantes, jusqu’à la dernière minute, le président déchu, qui se méfie de son ombre, aurait caché ses plans aux membres de sa famille, ses plus proches collaborateur et les hauts gradés de l’armée avant d’embarquer discrètement pour la Russie.
Ainsi à quelques heures avant son départ pour Moscou, il était présent à une réunion rassemblant une trentaine de chefs de l’armée et de représentants de la sécurité, au ministère de la Défense à Damas.
Loin de montrer des signes de panique, il aurait assuré « qu’un soutien militaire russe était en route » et qu’il fallait « que les forces terrestres tiennent bon », a raconté un commandant présent à cette réunion à Reuters.
En fin de journée, il aurait confié à ses collaborateurs, en quittant le bureau présidentiel, qu’il rentrait chez lui… alors qu’il prévoyait de rejoindre l’aéroport.
Pour sauver les apparences, il aurait également appelé sa conseillère en communication, Bouthaïna Shaaban, pour lui demander de venir à son domicile afin de lui écrire un discours. Mais sur place, elle n’a trouvé personne. « Plus tard, nous avons été surpris d’apprendre que le discours était reporté, peut-être à dimanche matin », rapporte un haut fonctionnaire du palais présidentiel.
Ce dernier affirme être resté au bureau jusqu’à 02h30. « Nous étions prêts à recevoir à tout moment une déclaration ou un message d’Al-Assad. Nous n’aurions jamais imaginé un tel scénario. Nous ne savions même pas si le président était encore au palais », raconte-t-il. Dans la soirée de samedi, le président syrien reçoit également un coup de fil de son Premier ministre, Mohammad Ghazi al Jalali.
« Lors de notre dernier appel, je lui ai dit à quel point la situation était difficile et qu’il y avait un énorme déplacement de personnes de Homs vers Lattaquié… qu’il y avait de la panique et de l’horreur dans les rues », a-t-il déclaré cette semaine à la chaîne de télévision saoudienne Al Arabiya. Ce à quoi Bachar Al-Assad aurait répondu : « Demain, nous verrons ».
Pourquoi Moscou ?
Mais le dirigeant était, semble-t-il, déjà loin. Il aurait pris samedi soir le chemin de l’aéroport, à une vingtaine de kilomètres au sud de la capitale.
Pourquoi la Russie ? Trois membres de son cercle rapproché assurent qu’il avait d’abord pensé se réfugier aux Émirats arabes unis, soutien de longue date du régime. Mais Abou Dhabi aurait refusé, craignant des pressions internationales. Les options étaient alors limitées. Sa destination sera finalement la Russie, là où sa femme Asma, atteinte d’un cancer, se rendait régulièrement pour se faire soigner.
D’ailleurs, Bachar Al-Assad n’aurait pas informé son frère cadet, Maher, le commandant de la 4e division blindée d’élite de l’armée, de son plan d’évasion. Les cousins du dictateur, Ehab et Eyad Makhlouf ont également été livrés à eux-mêmes lors de la prise de Damas par les rebelles, rapporte un collaborateur syrien.
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De son côté, le président déchu s’est finalement envolé dans la nuit de samedi à dimanche pour la base russe de Hmeimim, à l’ouest du pays, échappant aux rebelles qui ont pris d’assaut la capitale syrienne. « De la base russe, un avion l’a conduit à Moscou », raconte un conseiller qui a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité.
Au final, il semble évident que Bachar Al-Assad, le commandant en chef de l’armée syrienne, n’a même pas rallié ses propres troupes, n’a même pas opposé une dernière résistance, n’a nullement accompli son dernier devoir. L’histoire retiendra qu’il a laissé ses partisans affronter leur propre destin. Une sortie par la petite porte.
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