Ils avaient entre 18 et 19 ans. A Mezzouna, un mur d’école qui s’effondre coûte la vie à trois jeunes lycéens. Ils s’appelaient Abdelkader Dh’hibi, Youssef Ghanmi et Hammouda Messâadi. Fin de l’information.
Il serait indécent, en ces lieux, de profiter du drame pour incriminer les uns ou les autres. Certains diront que c’est l’effet retard d’une petite secousse, on dira même que c’est à cause d’une braise soudaine. Il n’en est rien. Nous sommes tous, sans exception, à blâmer. Il suffit pour cela de se demander pourquoi ces trois jeunes ne connaîtront jamais la joie de décrocher leur baccalauréat. Se demander pourquoi c’est précisément l’école, qui est censée les protéger, qui causa leur perte. Se le demander, tout en sachant qu’on n’a pas forcément la bonne réponse. Et puis quelle réponse peut-on donner aux familles des victimes, endeuillées pour ce qui leur est le plus cher ?
Quelle réponse, si ce n’est une autre question, celle de savoir pourquoi notre école en est arrivée là. Pourquoi l’école, qui a été, jusqu’à il n’y a pas longtemps, notre fierté, est devenue notre plaie. C’est vrai que la réalité du terrain éducatif change, chez nous et ailleurs.
Chez nous en particulier, tout le monde sait que la réalité économique et quelques autres errements de parcours, ont fait que l’école publique tourne de moins en moins rond. Des dizaines d’écoles ont fermé. Tout le monde sait que les lycées privés, pour ne prendre que cet exemple, remplacent de plus en plus l’enseignement dit étatique. Assez souvent, il s’agit de choix délibérés de parents déboussolés et dépités par la dégradation de l’offre publique. Toutes les pétitions de principe, pour moralisantes qu’elles soient à ce sujet, ne changeront rien à cette réalité. Les plus nantis le font depuis longtemps, la classe moyenne s’y met désormais. La logique de l’échelle sociale par les diplômes doit manifestement être revisitée, soit dit par euphémisme.
En fait, le lundi 14 avril, le mur n’a pas tué trois jeunes lycéens seulement. Il s’est effondré sur la tête de tout notre système éducatif. Rien d’autre à dire.
Rien à dire, sauf peut-être un petit mot pour ceux qui, face à l’ampleur de la catastrophe, se sont précipités pour démolir les murs délabrés dans leurs zones d’influence, au cas où ils s’effondreraient sur la tête des gens. Personne ne nous a dit qu’ils avaient commencé à réparer un seul mur, mais tout le monde s’est précipité pour les démolir, en se disant : « Le mur d’où souffle le vent, démolissez-le et prenez votre temps ! ». Rien à comprendre, à moins qu’on soit devant des adeptes de René Descartes qui croyait qu’en détruisant les fondements, il parviendrait à construire une connaissance ferme et constante dans la science. On va leur accorder le bénéfice du doute, dans une ère où on est censé bâtir et reconstruire.
Un bénéfice du doute qu’on laissera en suspens en évoquant les verdicts dans l’affaire dite du complot contre la sûreté de l’État. Un verdict prononcé vers 5 heures du matin dans la nuit du vendredi au samedi 19 avril, à l’issue de trois audiences, on va dire, assez rapides. Rien à dire, si ce n’est quelques questions sur le système judiciaire tunisien qu’on accuse, à tort ou à raison, de tous les maux. Selon le comité, 892 ans de prison ont été prononcés au total à l’encontre des prévenus. Neuf siècles en tout, de quoi donner le tournis.
Mais bon, on ne va pas jeter la pierre à quiconque. On attendra patiemment, peut-être qu’un jour, ce ne sera pas une pierre, mais tout un pan de mur qui tombera sur nos têtes. Ce jour-là, personne ne trouvera rien à dire ni à redire, si ce n’est qu’on ne récolte que ce qu’on sème.
Le mot de la fin est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 918 du 23 avril au 7 mai 2025
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