Un mur vient de s’effondrer. Pas n’importe quel mur et pas par accident peu prévisible. Sa chute était inscrite dans les faits. Il était lézardé, on le savait en état de décrépitude faute d’entretien et par tant de négligence coupable, érigée désormais en mode de gouvernance des établissements publics.
Un mur d’une école communale s’est écroulé, faisant trois morts et deux blessés graves parmi les élèves. La foudre et les intempéries naturelles n’y sont pour rien. Il y va de la seule responsabilité de l’Etat, qui revendique haut et fort son inclination sociale. Qu’est devenue notre politique d’éducation nationale qui fut naguère le moteur de notre résurrection ? Qu’est devenue l’école, érigée depuis la nuit des temps en véritable sanctuaire national ? Comble d’ignominie, cette tragédie nationale vient nous renvoyer à notre triste réalité. Comme si le sort et l’histoire s’acharnaient sur cette région, vouée à l’échec et à l’oubli.
Sidi Bouzid, dont fait partie la localité de Mezzouna, est une fois de plus l’épicentre d’une fracture économique et sociale. C’est de ce territoire, toujours tenu à distance, qu’est partie l’étincelle qui a mis fin à un système politique en fin de cycle, à bout de souffle, pour avoir obstrué les voies de respiration démocratique.
Quatorze ans après, les répliques, toutes aussi meurtrières, sont toujours à l’œuvre sur les débris d’une révolution qui a tout démoli sans rien apporter en retour, sinon l’illusion d’un printemps démocratique.
Quatorze ans après, les répliques, toutes aussi meurtrières, sont toujours à l’œuvre sur les débris d’une révolution qui a tout démoli sans rien apporter en retour, sinon l’illusion d’un printemps démocratique. Les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. L’utopie démocratique n’a pas eu raison des jeux troubles de pouvoir et des intrigues politiques. Que reste-t-il du cri de ralliement de décembre 2010-janvier 2011 : liberté, égalité, emploi et dignité ? Une longue et coûteuse traversée du désert et au final, un tableau pour le moins peu reluisant.
Le drame qui s’est abattu sur Mezzouna a mis brutalement fin à nos dernières illusions. Le rideau est définitivement tombé sur des promesses fallacieuses, jamais tenues. La chute du mur de l’école, dans les conditions que l’on sait, a révélé l’envers du décor, une sorte de vide sidéral. Elle a réduit à néant ce que le pays a de plus cher.
Nos écoles – et pas que celle de Mezzouna – menacent de tomber en ruine. Nos hôpitaux et dispensaires ne sont pas loin du naufrage. Tous deux, bâtis au prix d’un énorme sacrifice, tiennent encore par la seule force des bras, le dévouement, le combat au quotidien du personnel enseignant et médical aux mains nues ou presque.
Que valent alors les incantations, les proclamations de foi, les annonces à n’en pas finir d’un monde meilleur, alors que le temps poursuit implacablement son entreprise de démolition de nos écoles, de nos hôpitaux, de notre infrastructure économique et sociale ?
La dégradation des établissements et des services publics, le manque de respect à l’endroit des contribuables, des sans-emplois, des sans-voix et des « sans avenir », ainsi que le peu d’empressement à vouloir engager les nécessaires réformes justifient la vanité de nos discours et de notre déconnexion de la réalité.
Quand les écoles, les lycées, les universités, les centres de recherche et de formation professionnelle sont à ce point dégradés, aux murs gravement lézardés, et aux programmes défraichis et souvent caducs, il y a peu à espérer. On ne peut ostensiblement nous prévaloir des vertus du capital humain dont on a fait notre principale arme de conquête du futur quand l’école et l’hôpital publics sont dans un pareil état de souffrance. L’identité du pays, son ADN, le substrat même de son redressement souffriront d’une telle altération.
L’enseignement, la connaissance, le savoir, dans ce qu’ils ont de plus innovant et performant, mènent aujourd’hui le monde. Ils sont aux avant-postes des avancées technologiques et dessinent le contour des évolutions futures.
L’enseignement, la connaissance, le savoir, dans ce qu’ils ont de plus innovant et performant, mènent aujourd’hui le monde. Ils sont aux avant-postes des avancées technologiques et dessinent le contour des évolutions futures. La Tunisie ne pourra pas rejoindre et intégrer les pays en émergence rapide, si l’école n’est pas aux commandes, ou tout au moins à l’origine des profondes transformations économiques, numériques et sociales. L’école fut et doit être ouverte sur le monde, la science, les technologies émergentes, l’IA… Il faut la doter de réels moyens humains, matériels et financiers en raison de son statut, de son rôle et de sa prééminence dans la conduite et la marche du pays.
L’école, dernier rempart de la cohésion sociale, n’a pas de prix. L’Etat doit l’assumer par de nouveaux choix budgétaires, d’autant qu’il s’agit du meilleur investissement d’avenir, garant de notre souveraineté nationale. Ne pas s’y engager au plus vite nous expose aux désordres, aux troubles politique, économique et social. L’alerte est venue aujourd’hui de Mezzouna, du gouvernorat de Sidi Bouzid. Puisse-t-elle servir de leçon avant qu’il ne soit trop tard !
Cet édito est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 918 du 23 avril au 7 mai 2025
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